Bouygues & Early Metrics – Open Innovation 2015-2021 : entre faux espoirs et promesses tenues

By Julie Durban - 21 décembre 2021

Ces dix dernières années ont vu l’adoption croissante de nouvelles approches de l’innovation. Parmi elles, l’open innovation ou innovation ouverte est particulièrement prisée. Les principales parties prenantes placent de grands espoirs dans cette méthode. Mais a-t-elle vraiment tenu ses promesses ? Il est temps de faire le point sur l’impact de l’innovation ouverte et sa valeur pour l’avenir de l’écosystème de l’innovation.

Christophe Lienard, directeur de l’innovation du groupe Bouygues, et Antoine Baschiera, cofondateur et CEO d’Early Metrics, ont récemment partagé leurs points de vue sur les résultats des six dernières années d’open innovation. Découvrez les points forts de leur discussion.

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Promesse n°1 : L’open innovation, un moyen plus rapide et moins coûteux d’innover

Une innovation moins chère ? Oui, sans aucun doute, affirme Antoine Baschiera. Les entreprises clientes d’Early Metrics ont partagé au fil des ans le fait qu’elles ont pu tester de nouveaux produits avec des budgets beaucoup plus faibles grâce à l’innovation ouverte. Christophe Lienard ajoute qu’en effet, les programmes d’open innovation de Bouygues ne nécessitent généralement pas de gros investissements. En revanche, le passage à la phase de déploiement exige des budgets plus importants.

Cependant, selon Antoine Baschiera, l’innovation ouverte a été une déception du point de vue de sa rapidité. En fait, elle peut parfois être plus lente que les projets d’innovation traditionnels menés en interne. Ce retard est parfois dû à la capacité de la startup à lancer et à faire évoluer rapidement son processus de production, puisqu’elle dispose de ressources limitées. La vitesse peut aussi parfois être entravée par un taux d’adoption lent au sein de la grande entreprise.

Christophe Lienard, responsable de l’innovation du groupe Bouygues, explique :

« Il est indéniable que l’open innovation nous a permis d’accélérer les étapes initiales de l’innovation, notamment l’idéation. Cependant, il nous est arrivé de survendre la vitesse de l’open innovation, ce qui a été une source de frustration pour les acteurs opérationnels. »

Il ajoute la déception peut être d’autant plus grande lorsque les projets dépassent la durée initialement budgétée de 3, 6 ou 12 mois. Christophe Lienard souligne qu’il existe une différence de temps entre les projets d’innovation qui reposent sur du logiciel et ceux qui repose sur du matériel.

Parmi les moyens d’optimiser la durée des projets d’open innovation, souligne Antoine Baschiera, il semble qu’il faille privilégier les partenariats avec des startups ayant une certaine maturité et/ou ayant franchi des étapes spécifiques (comme une levée de série A). Pour Bouygues, il s’agit de trouver un équilibre entre la collaboration avec des entreprises en phase de démarrage qui sont à l’affût des tendances technologiques et la collaboration avec des entreprises plus matures qui peuvent fournir des résultats plus rapidement.

L’une des réussites du programme de Bouygues est Com’in, une solution de gestion des nuisances des chantiers. Après une période de gestation d’environ 2 ou 3 ans, c’est maintenant une véritable entreprise qui a pleinement déployé son offre. Ce projet a prouvé que l’open innovation pouvait tenir sa promesse d’une méthode de développement de produits à la fois rapide et relativement bon marché.

Promesse n°2 : l’open innovation, source de transformation profonde

Au cours de son existence, Early Metrics a été témoin de cas concrets de réussite en matière de transformation. Par exemple, Airbus et Expliseat ont co-développé un nouveau siège d’avion considérablement plus léger. Arkea a également développé plusieurs innovations en matière de paiement en collaboration avec des startups fintech.

Le principal obstacle à la transformation reste le défi de passer d’un POC à une solution entièrement déployée. Toutefois, un nouvel obstacle se profile à l’horizon. Antoine Baschiera estime qu’un fossé se creuse entre les startups qui tentent de créer des business modèles scalables avec un ou quelques produits, et les entreprises qui cherchent à co-développer des solutions de plus en plus niches et sur-mesure. Dans ce cas, Antoine Baschiera considère que l’intrapreneuriat est une approche plus appropriée que l’open innovation. Les intrapreneurs peuvent fournir des résultats étroitement alignés aux spécificités de l’entreprise, sans trop se soucier du potentiel commercial de leurs solutions.

En effet, l’intrapreneuriat joue un rôle de plus en plus important dans la stratégie du groupe Bouygues. Leur nouveau programme, Les Entrepreneurs, couvre une grande variété de sujets et implique une soixantaine de collaborateurs issus des cinq fonctions clés de l’écosystème d’innovation de Bouygues (R&D, open innovation, think tanks et partenaires académiques, intrapreneuriat, veille internationale).

Pourtant, pour Christophe Lienard, l’open innovation reste un moyen intéressant pour le groupe de découvrir de nouveaux modèles économiques. Comme il l’a souligné, il y a aujourd’hui environ 801 licornes dans le monde qui représentent plus de 2,65 trillions de dollars, soit plus que le PIB de la France. Parallèlement, 4 500 startups ont levé plus de 100 millions de dollars, ce qui représente une valorisation totale de 15 000 milliards de dollars, soit autant que le PIB de la Chine. Christophe Lienard a déclaré :

« Il est clair que ce n’est pas un sujet anodin. Nous n’avons pas des petites startups d’un côté et des grands groupes de l’autre. En tant que grande entreprise, nous devons apprendre des startups quels seront les modèles économiques de demain. »

Ainsi, l’open innovation n’implique pas nécessairement de co-développement. Au contraire, elle peut être une source d’information sur le marché et une source d’inspiration pour les stratégies ou le développement internes.

Promesse n°3 : l’innovation ouverte bouleverse les modes de travail

Bon nombre des directeurs d’open innovation qui collaborent avec Early Metrics ont confirmé que leurs projets ont contribué à améliorer et à moderniser les méthodes de travail de leur entreprise. Ils ont montré que les partenariats avec des startups ont généralement un impact positif sur les pratiques de travail, de la gestion de projet à l’expérimentation.

L’open innovation a également créé de nouvelles opportunités de carrière. Par exemple, il y a eu des cas d’entrepreneurs débutants qui n’ont pas eu de grand succès avec leur propre startup mais qui ont trouvé leur place en tant que leaders de l’open innovation au sein de grandes entreprises. Cette tendance au recrutement contribue à faire évoluer les méthodes de travail et à les rendre plus agiles.

En outre, l’open innovation a eu un impact sur les stratégies de déploiement au sein des entreprises. Auparavant, les départements informatiques choisissaient de déployer des changements massifs par longues vagues. Aujourd’hui, non seulement les équipes informatiques et numériques, mais aussi d’autres fonctions, adoptent de plus en plus une stratégie de type « startup » impliquant le prototypage et de petits déploiements incrémentiels. Cette approche a fait ses preuves en termes de gains de productivité et d’efficacité.

Au sein de Bouygues, de plus en plus de responsables de business unit ont demandé conseil à l’équipe d’innovation sur la manière de restructurer leur département de manière agile. C’est le résultat de conversations que leurs équipes d’innovation ont eues avec leurs startups partenaires. Christophe Lienard explique que cette dynamique a été fortement stimulée par le projet WeWood de Bouygues, qui vise à permettre la construction de 30 % des nouveaux bâtiments en bois d’ici à 2030 et qui nécessite une collaboration entre les départements.

Promesse n°4 : l’open innovation, un outil de communication clé

Selon Antoine Baschiera, il s’agit d’un sujet délicat. Nous avons vu de nombreuses grandes entreprises parler haut et fort de l’open innovation, mais ne pas obtenir de résultats concrets. Entre 2015 et 2018, nous avons assisté au lancement de nombreux concours de startups organisés par des entreprises, qui n’ont débouché sur aucune action commerciale solide. Ce manque de réussites concrètes a pu nuire à la crédibilité de marque de ces entreprises aux yeux de l’écosystème des startups.

Toutefois, la situation est en train de changer. Nous constatons que de nombreuses grandes entreprises qui s’engagent dans l’open innovation communiquent moins sur leurs programmes dans leur totalité et font plutôt une communication ponctuelle autour de partenariats spécifiques avec des startups. Un exemple positif est celui du Media Lab de TF1, qui sélectionne cinq à six startups par semestre pour proposer des solutions réelles. Selon Christophe Lienard, le programme a un excellent taux de conversion, ce qui montre que l’innovation ouverte peut conduire à de réelles opportunités commerciales.

Pour Bouygues, l’open innovation est en effet un facteur d’attractivité pour la marque, aussi bien en interne qu’en externe. Bien que Christophe Lienard reconnaisse que les leaders de l’open innovation doivent être prudents pour éviter la survente, il en reconnaît la valeur pour l’image de marque.

Par exemple, grâce à la chaire Construction 4.0 à Lille, Bouygues a pu inspirer les étudiants en ingénierie en présentant l’application de l’IoT (internet des objets), de l’IA et d’autres technologies sur leurs chantiers. Bouygues a également mis en place une chaire similaire avec HEC pour impliquer très tôt les talents potentiels et les sensibiliser à l’évolution du monde de la construction. Enfin, Bouygues gère l’initiative Smart City, qui a eu un impact positif sur son image de marque tout en fournissant des informations exploitables pour la création de villes intelligentes en Europe. Dans l’ensemble, Christophe Lienard considère l’innovation comme un moyen d’ouvrir la porte à des collaborations à long terme avec diverses parties prenantes, qui vont au-delà de la portée commerciale habituelle.

Promesse n°5 : l’open innovation augmente la résilience des entreprises

Au début de la pandémie de Covid-19, la plupart des entreprises ont décidé de réduire les budgets des départements non essentiels, y compris l’innovation. Pourtant, Antoine Baschiera a constaté qu’après quelques mois, de nombreuses entreprises ont décidé de consacrer plus d’efforts à l’open innovation afin de trouver des solutions aux nouveaux défis posés par la crise sanitaire.

Antoine Baschiera a commenté :

« Ce fut une bonne surprise pour nous de découvrir que même les grandes entreprises qui avaient été fortement touchées par la pandémie, comme les grandes compagnies aériennes et les aéroports, voulaient mener des actions d’open innovation. Nos clients, tels qu’Air France et ADP, mesurent l’intérêt de poursuivre leurs partenariats d’innovation pour mieux se préparer aux crises futures. »

Ainsi, il semble que l’open innovation ait tenu ses promesses en termes de résilience au sein des grandes entreprises.

Du côté de Bouygues, Christophe Lienard explique que l’open innovation a un rôle clé à jouer pour gagner en résilience face à une autre crise : le changement climatique.

Il a déclaré : « Nous mettons toutes les ressources possibles de notre côté pour pouvoir atteindre les jalons que nous nous sommes fixés pour 2030 et au-delà. Nous nous concentrions déjà sur l’innovation climatique avant la pandémie et ces projets n’ont pas été particulièrement impactés par le Covid-19, peut-être parce que nous avions déjà un bon niveau de résilience. »

Parmi ces projets, Bouygues Energies & Services est allé loin avec la startup Powidian (dans laquelle le groupe a investi). Cette collaboration a permis aux antennes de l’aviation civile de devenir énergétiquement autonomes, grâce à un système qui transforme l’énergie solaire en hydrogène, puis le stocke sous forme d’électricité disponible.

En résumé, les six dernières années ont montré que l’open innovation peut sans aucun doute donner de bons résultats en termes de résilience et qu’elle peut aider les entreprises à moderniser leurs méthodes de travail. Elle a également donné lieu à des cas prometteurs de transformation en profondeur et de changements significatifs. Du point de vue de la communication, les entreprises ont parfois eu du mal à tirer parti de l’innovation ouverte. Celle-ci a néanmoins produit des résultats positifs en termes d’image de marque, notamment dans le cadre de partenariats spécifiques entre des startups et des entreprises. Enfin, le temps a montré que l’open innovation est souvent moins chère que les autres types d’innovation, mais il faut se méfier de sa rapidité, qui peut être source de déception.

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