La blockchain pour lutter contre la contrefaçon : les cas d’usages pour le monde du luxe

By Katerina Mansour - 10 décembre 2020

Traduit de l’anglais par Margaux Cervatius

La croissance du marché de l’occasion a également entraîné une augmentation des ventes de faux produits de luxe. La blockchain pourrait-elle être la clé de la lutte contre la contrefaçon  ?

Pour le consommateur moyen qui rêve de posséder un objet de luxe mais ne peut pas vraiment se le permettre financièrement, les plateformes de vente de produits d’occasion sont devenues un lieu incontournable. En effet, acheter d’occasion est le seul moyen pour de nombreux consommateurs d’avoir la chance de posséder des articles de luxe. Selon une étude du Boston Consulting Group, le marché secondaire des produits de luxe représentera 36 milliards de dollars d’ici 2021, contre 25 milliards en 2018.

Au-delà de la recherche d’un prix abordable, l’achat d’articles de luxe d’occasion s’inscrit également dans le cadre des efforts visant à adopter un comportement plus durable. Des recherches ont montré que 59 % des clients du secteur du luxe, tant sur le marché primaire que secondaire, déclarent que la durabilité influence leur comportement d’achat. En effet, la mode durable est de plus en plus demandée et populaire dans le monde entier.

Cependant, l’essor de la revente de produits de luxe suscite également de l’inquiétude quant à l’authenticité de ces objets d’occasion. Les consommateurs achètent de plus en plus leurs articles de luxe auprès de sources secondaires, ce qui rend encore plus difficile d’éviter les contrefaçons.

Discerner le vrai du faux : un défi permanent

Selon le Global Brand Counterfeiting Report, les marques de luxe perdent environ 30 milliards de dollars de ventes à cause des contrefaçons sur Internet. En 2018, une enquête de l’IFOP a montré que 37 % des adultes français ont déjà acheté au moins une contrefaçon sans le savoir. Tous les secteurs du marché du luxe connaissent des niveaux variables de contrefaçon : le secteur des bijoux et des montres perd environ 1,9 milliard d’euros de recettes chaque année en raison des produits contrefaits. Le Château Lafite Rothschild a publié des estimations selon lesquelles 70 % de ses vins vendus en Chine sont des faux. L’Organisation mondiale des douanes estime que le marché mondial des contrefaçons représente 600 milliards de dollars, soit environ 7 % du commerce mondial.

La contrefaçon n’est pas un problème nouveau et il est peu probable qu’il disparaisse de sitôt, malgré les efforts déployés à travers le monde. Les contrefaçons continueront de prospérer, principalement poussées par la demande des consommateurs. En effet, de nombreux consommateurs sont prêts à acheter des contrefaçons et n’y voient aucun problème.

Pourtant, discerner un article de luxe authentique d’un faux reste une priorité pour beaucoup d’entre eux. Au-delà des inquiétudes concernant le jugement de leurs pairs s’ils reconnaissent une contrefaçon, des recherches menées par l’université de Yale indiquent qu’il existe un facteur psychologique derrière la quête d’authenticité. Selon ces recherches, le sentiment suscité par l’achat d’un produit de luxe authentique joue un rôle dans la raison pour laquelle les consommateurs désirent le vrai produit.

Les marques ont adopté plusieurs stratégies au fil du temps pour lutter contre les contrefaçons. Une surveillance accrue en ligne, de longues poursuites judiciaires, la sensibilisation des consommateurs et la collaboration avec les autorités pour identifier les réseaux de contrefaçon sont autant de mesures courantes. Mais, avec l’apparition de nouvelles technologies, de nouvelles approches ont vu le jour.

La blockchain comme nouvel outil de lutte contre la contrefaçon

La blockchain est un registre distribué et immuable qui peut enregistrer les transactions, suivre les actifs et assurer la transparence. Les données sont stockées dans des blocs qui sont tous reliés les uns aux autres, horodatés et considérés comme infalsifiables. Associée aux technologies NFC et IoT, la blockchain permet aux consommateurs d’accéder à l’historique complet d’un produit, qu’il soit neuf ou d’occasion. Ils peuvent également contribuer à son historique vérifiable en scannant les étiquettes des produits ou en incluant les détails de la preuve d’achat qui sont ensuite intégrées dans la blockchain.

Les entreprises ont pris des mesures ces dernières années pour tirer parti des technologies de la blockchain dans leur lutte contre la contrefaçon. En 2019, LVMH s’est associé à Microsoft et à ConsenSys pour développer AURA, une plateforme qui s’appuie sur la blockchain pour authentifier les produits de luxe. L’idée est que, lors de la fabrication, chaque produit de luxe reçoit un identifiant unique. Lorsqu’un client achète un produit de luxe, il peut alors accéder à son certificat en ligne, qui a été signé de manière cryptographique par la marque et tous les acteurs de sa chaîne d’approvisionnement (conception, matières premières, fabrication, distribution). En effet, pour que la blockchain offre une transparence totale, chaque maillon de la chaîne d’approvisionnement doit y participer.

Un autre exemple est celui d’IBM, qui a développé la Trust Chain Initiative avec Helzberg Diamond et le groupe Richline. La solution de blockchain intègre les mines qui extraient les pierres précieuses, les fabricants qui les raffinent et les détaillants qui les vendent. La blockchain aide également les bijoutiers à certifier que leurs produits ont une origine éthique, par exemple qu’aucun diamant de conflit n’a été utilisé.

Les marques de luxe ne sont pas les seules à bénéficier de la transparence promise par la blockchain. Les inquiétudes concernant la vente de produits de luxe contrefaits sont plus répandues lorsqu’il s’agit de revendeurs. Ainsi, les entreprises impliquées dans la revente d’articles de luxe peuvent fortement bénéficier de technologies fiables pour rassurer leurs clients.

Les startups apportent leurs propres solutions au problème

Arianee, notée par Early Metrics en 2019, s’est fait un nom dans ce secteur. La startup développe une plateforme blockchain qui permet aux marques de luxe d’authentifier leurs produits en ligne. Chaque article de luxe reçoit son propre certificat numérique avec des enregistrements cryptés qui stockent tous les détails du produit. Il s’agit notamment des dates d’acquisition, de l’assurance, des matériaux et autres. Les propriétaires de produits peuvent enregistrer leurs articles sur l’application de la startup, qui sont ensuite examinés par la startup ou par une tierce partie pour validation.

Parmi les conseillers de la startup figurent des cadres de Richemont International et de Balenciaga. Arianee a également renforcé sa position sur le marché en signant plusieurs clients de renom. Elle a récemment annoncé que toutes les montres Vacheron Constantin seront livrées avec ses certificats blockchain d’ici 2021. Parmi ses autres clients figurent BREITLING, Audemars Piguet, Roger Dubuis et Mugler.

La société VeChain, basée à Shanghai, développe également une plateforme blockchain visant notamment à lutter contre la contrefaçon. La startup s’est placée dans le top 1% des startups notées par Early Metrics et a signé des clients tels que LVMH et Givenchy. Chainvine est un autre exemple de startup en pleine croissance, notée par Early Metrics, qui fournit des services blockchain sur mesure. L’un de ses principaux services est l’intégration de la prévention de la contrefaçon dans la chaîne d’approvisionnement des producteurs de vin et d’autres acteurs du secteur alimentaire et des boissons.

Le fin du fin de la lutte anti-contrefaçon ?

Toutefois, si la blockchain semble être une solution prometteuse, les experts soulignent les lacunes et les défis inhérents à son déploiement.

La technologie blockchain vous permet de vous assurer que les informations n’ont pas été altérées, mais elle ne peut garantir l’intégrité des informations enregistrées en premier lieu. Si une personne entre de fausses informations dans une blockchain, elles y resteront pour toujours. Un grossiste pourrait simplement créer une entrée pour un sac à main contrefait et passer inaperçu. De même, les consommateurs pourraient être sceptiques quant aux informations concernant les matières premières, cataloguées par les fournisseurs tiers d’une marque. La confiance dans l’intégrité de chaque partie prenante est en quelque sorte nécessaire pour qu’un registre de blockchain ait l’effet souhaité sur le marché du luxe.

En outre, comme mentionné ci-dessus, la blockchain requiert la participation de tous les acteurs afin de garantir une transparence totale. Cela représente un défi que certaines entreprises pourraient ne pas être en mesure de relever. Vestiaire Collective aurait interrompu son adoption de la blockchain en raison de la difficulté d’amener toutes les marques concernées à collaborer et à partager des informations.

En fin de compte, la blockchain dans le secteur du luxe n’en est qu’à ses débuts. Les taux de sensibilisation et d’adoption doivent augmenter pour que nous puissions constater un impact tangible et évaluer pleinement son utilité. Seul le temps nous dira si elle s’avère être une solution aussi prometteuse que l’espèrent de nombreuses parties prenantes.

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