Des matériaux innovants au service de la mode durable

By Katerina Mansour - 12 mai 2021

Au cours des dernières années, la demande des consommateurs pour une mode durable a considérablement augmenté. Des documentaires comme The True Cost (2015) ont exposé l’impact social et environnemental de la fast fashion. Ils ont ainsi contribué à sensibiliser efficacement le public.

Les textiles innovants peuvent-ils aider l’industrie de la mode à devenir plus durable ? Penchons-nous sur les tendances et les acteurs clés dans ce domaine.

Les nouvelles habitudes de consommation sont à l’origine de pratiques non durables

Aujourd’hui, il est possible d’acheter n’importe quel vêtement à des prix extrêmement bas en quelques clics. Résultat : de nombreux consommateurs achètent beaucoup plus que ce dont ils ont réellement besoin. Les habitudes de consommation en matière de mode ont également évolué vers le gaspillage.

Les consommateurs ont accès à un choix de vêtements plus large que jamais, mais ils ont tendance à jeter un article peu de temps après l’avoir acheté. En moyenne, un vêtement est porté sept fois avant d’être jeté. Au Royaume-Uni, on estime que les vêtements inutilisés qui dorment dans les placards représentent 30 milliards de livres sterling. Ces vêtements sont de piètre qualité et pas chers : les jeter est devenu une habitude bien trop répandue. Ces vêtements finissent dans des décharges, où leur décomposition peut prendre jusqu’à 200 ans.

Les entreprises de mode continuent à utiliser des procédés très polluants

Au-delà du gaspillage, la fabrication des vêtements a également un impact désastreux sur notre environnement. L’industrie de la mode est le deuxième secteur le plus polluant, après l’aviation. Elle génère environ 92 millions de tonnes de déchets textiles et consomme 1 500 milliards de litres d’eau par an.

D’importantes quantités de déchets toxiques provenant de la production textile sont déversées dans les rivières voisines, polluant l’eau. Selon la Banque mondiale, 72 produits chimiques toxiques finissent dans les cours d’eau à cause de la teinture des textiles. C’est notamment le cas au Bangladesh, deuxième exportateur mondial de vêtements.

L’un des nombreux changements testés par l’industrie de la mode est l’utilisation de nouveaux matériaux. En effet, l’utilisation de certaines matières premières pour produire des textiles est une première étape vers la mode durable. La perception des consommateurs semble également confirmer cette tendance. Selon une enquête McKinsey menée en 2020, 67 % des consommateurs interrogés considèrent l’utilisation de matériaux durables comme un facteur d’achat important.

La mode durable grâce à des matériaux innovants

Les chaussures Zèta sont recyclables et fabriquées à partir d’un cuir végétal à base de raisin.

1. Cuir végétal

Le cuir végétal est devenu très tendance ces dernières années. En plus de répondre à la demande de matériaux durables, il convient aux consommateurs végétaliens et végétariens.

Des rapports ont montré que l’impact environnemental du cuir végétal peut être jusqu’à trois fois inférieur à celui du cuir véritable. Mais il peut être fabriqué à partir de divers matériaux, et certains sont moins durables que d’autres. En effet, le cuir à base de plastique pose un problème, surtout s’il finit dans la nature où il relâchera des produits chimiques. En outre, de grandes quantités d’énergie et d’eau sont utilisées pour produire ces types de plastique.

Éviter le cuir à base de plastique ne devrait pas être difficile. Le liège, les pelures de pomme, le tissu d’écorce et bien d’autres plantes ou fruits sont utilisés pour créer du cuir végétal durable.

Dr Carmen Hijosa a développé Piñatex, un cuir fabriqué à partir de fibres de cellulose extraites de feuilles d’ananas. Hugo Boss a été l’une des premières marques à utiliser ce nouveau matériau.

Le cuir à base de raisin a également gagné en popularité. Le Coq Sportif a récemment lancé une gamme de baskets en collaboration avec Vegea. Cette dernière développe une alternative au cuir fabriquée à partir de la queue, de la peau et des pépins du raisin de cuve. Zèta est une autre startup qui exploite ce fruit pour la mode. Elle crée des baskets zéro déchet, recyclables et fabriquées à partir de composants de raisin recyclés.

D’autres startups se sont tournées vers des matières animales non conventionnelles. Ictyos, une startup notée par Early Metrics, transforme la peau de poisson en cuir marin, grâce à un processus de tannage sans chrome. Gelatex, une autre startup notée, développe un cuir à partir de gélatine, un sous-produit de l’industrie de la viande.

2. Matériaux recyclés

Les matériaux recyclés aussi sont très prisés pour la création de tissus durables. Par exemple, l’organisation SEAQUAL Initiative traite les déchets plastiques marins pour fabriquer du fil qui est ensuite utilisé par l’entreprise textile Camira. Cette stratégie de recyclage est de plus en plus répandue. Des fabricants tels qu’Aquafil ont également créé des matériaux comme le nylon à partir des déchets océaniques et des décharges.

D’autres ont opté pour la réutilisation des déchets de tissus. En 2017, Athleta s’est engagée à fabriquer 80 % de ses vêtements avec des fibres durables, comme le polyester et le nylon recyclés. Il existe depuis des décennies des matériaux fabriqués à partir de déchets textiles, à l’instar du cupro. Ce matériau biodégradable est fabriqué à partir de déchets de coton et souvent utilisé comme alternative à la soie. Sa production en circuit fermé permet d’extraire les produits chimiques des eaux usées et de les réutiliser.

Malheureusement, tous les textiles ne peuvent pas être recyclés de manière durable. Le polyester fait l’objet de controverses à cet égard. Si la fabrication du rPET (PET recyclé) nécessite moins de ressources et empêche les plastiques de se retrouver dans les décharges, son processus de recyclage n’est pas très durable. Il faut 59 % d’énergie en moins pour produire du rPET que du polyester vierge, mais ce matériau consomme plus d’énergie que le coton, le chanvre et la laine – qu’ils soient biologiques ou non. Le rPET libère également des microplastiques qui polluent l’environnement.

Afin d’accompagner les consommateurs dans leurs achats de produits durables, des startups développent des solutions pour une plus grande transparence. Waste2Wear a développé un système fondé sur la blockchain permettant aux consommateurs de vérifier l’origine de leurs produits. Les utilisateurs peuvent ainsi s’assurer que les matériaux utilisés par une entreprise proviennent réellement de déchets.

3. Matériaux à base de plantes et de bois

Le chanvre fait fureur en ce moment dans le secteur de la mode durable. Sa culture nécessite environ 50 % d’eau en moins que celle du coton et ne requiert pas d’herbicides ou de pesticides chimiques agressifs. Le chanvre restitue également 60 à 70 % des nutriments qu’il puise dans le sol. En outre, la transformation du chanvre peut se faire sans utiliser de produits chimiques. Des marques comme Patagonia ont exploité cette plante durable pour créer des vêtements avec un impact réduit sur l’environnement.

Un autre nouveau matériau utilisé dans la mode est le lyocell ou Tencel. Pour le produire, la pulpe de bois est dissoute puis séchée grâce à un processus de filage. Le lyocell nécessite moins d’énergie et d’eau que le coton conventionnel. Il est également biodégradable s’il n’est pas mélangé à d’autres fibres synthétiques. Il est produit blanc, ce qui élimine le besoin de blanchiment. Des marques comme Balzac Paris utilisent le Tencel pour fabriquer des vêtements plus durables.

L’importance des matières premières et de la fabrication

Enquête McKinsey menée auprès de responsables des achats dans le secteur de la mode en 2019

Comme nous l’avons vu précédemment, l’approvisionnement et la transformation d’un matériau sont essentiels pour évaluer sa durabilité. La matière première elle-même peut être très durable, mais cette durabilité diminue si la fabrication du tissu utilise de grandes quantités de produits chimiques, de colorants toxiques, etc.

De nombreux pays ont pris des engagements et lancé des projets pour promouvoir un approvisionnement et une fabrication plus durables dans l’industrie de la mode. En 2018, les responsables de Shanghai ont annoncé leur engagement à promouvoir des initiatives de fabrication écologique. En 2019, le gouvernement indien a lancé le projet SURE pour rendre l’industrie de la mode indienne plus durable. Parmi ses résolutions figure l’élaboration de politiques d’approvisionnement durable visant à privilégier et à utiliser systématiquement des matières premières certifiées ayant un impact positif sur l’environnement. Le projet vise également à « prendre les bonnes décisions sur nos approvisionnements (comment, où et quoi) à travers la chaîne de valeur en sélectionnant des matériaux et des processus durables et renouvelables et en assurant leur traçabilité. »

Les notations et certifications ESG sont devenues un moyen populaire pour les consommateurs d’évaluer l’impact social et environnemental d’une marque. Ces analyses prennent généralement en compte l’ensemble du processus de développement d’un produit et incluent donc l’approvisionnement et la fabrication. La certification B Corporation est l’un des labels les plus connus à cet effet dans le secteur de la mode.

Attention au greenwashing

Dans l’ensemble, les consommateurs sont plus conscients que jamais de l’impact de l’industrie de la mode sur notre environnement. Si de nombreuses entreprises font de réels efforts, le greenwashing demeure un problème majeur. De nombreuses marques présentent leurs produits comme plus durables qu’ils ne le sont réellement. De plus en plus méfiants, beaucoup de consommateurs effectuent alors des recherches approfondies sur les marques et les matériaux avant d’acheter. Les startups peuvent devenir les alliées de ces acheteurs consciencieux et des marques de mode qui souhaitent faire mieux pour le bien de la planète.

Traduit de l’anglais par Margaux Cervatius

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