L’IA au service de l’agriculture durable

By Early Metrics Team - 12 octobre 2022

Les crises successives de ces dernières années ont mis en exergue les limites du modèle agricole moderne. D’après le rapport de la FAO sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde de juillet 2022, la réduction des exportations alimentaires causée par le conflit entre la Russie et l’Ukraine pourrait engendrer 19 millions de personnes de plus en état de sous-alimentation. En effet, la concentration des exploitations crée une forte interdépendance des approvisionnements alimentaires. A cela s’ajoutent le déclin de la biodiversité, l’appauvrissement des sols, la déforestation et les risques sanitaires… autant de raisons qui rendent le système agricole actuel peu durable.

L’agriculture durable repose au contraire sur une production écologiquement saine, économiquement viable et socialement juste. Atteindre ce modèle induit des transformations radicales qui ne pourront se passer de nouveaux outils et technologies. L’intelligence artificielle (ou IA) est justement devenue l’une des technologies les plus utilisées dans le secteur agricole. Selon un rapport de ResearchAndMarkets, le revenu généré par l’IA dans l’agriculture devrait passer de 671,6 millions de dollars en 2019 à 11,2 milliards de dollars en 2030.

Déroulons à présent les façons dont l’IA permet de tendre vers une agriculture durable. 

L’IA pour la sauvegarde de l’environnement agricole

Économiser l’eau

L’agriculture intensive a comme principal défaut de trop puiser dans les ressources disponibles. C’est pourquoi l’agriculture durable vise d’abord à optimiser l’exploitation de ces ressources pour atteindre la neutralité carbone. L’intelligence artificielle se révèle alors utile. En analysant les données historiques d’irrigation, en comparant l’état des sols des parcelles et en calculant les rendements potentiels, l’IA est capable d’appliquer les meilleurs modèles de consommation d’eau. Pour aller encore plus loin, des solutions comme Fasal fournissent des prévisions météorologiques. Ainsi, les exploitations agricoles peuvent modifier leurs plans d’irrigation en utilisant l’eau de pluie. En combinant ces solutions d’optimisation des ressources, les exploitations peuvent économiser jusqu’à 50 % d’eau.

Protéger la biodiversité

D’un côté, la monoculture a considérablement appauvri la biodiversité. De l’autre, l’agriculture durable s’attache à la préserver. Selon la FAO, au cours du dernier siècle, 75% de la variété génétique des plantes comestibles auraient disparu. L’enjeu est donc bel et bien de préserver les paysages mais aussi de réintroduire des espèces et de valoriser les ressources génétiques. C’est sur ce dernier point que s’est penchée la startup britannique Phytoform Labs. Son intelligence artificielle permet d’isoler rapidement et très précisément les séquences d’ADN qui peuvent rendre les plantes plus résistantes. La startup est alors en mesure de renforcer leur génome sans altérer leur comportement génétique comme le feraient les OGM. Ainsi, elle peut, en quelques mois, créer des variétés de plantes plus résistantes, moins sujettes aux pertes tout en consommant moins d’eau. L’avantage est double : protéger la biodiversité et réduire l’impact environnemental. 

Se passer des pesticides

Enfin, l’agriculture durable s’attaque à la réduction de l’utilisation d’intrants toxiques. En effet, les pesticides ou herbicides sont susceptibles de se retrouver dans les airs, les sols, les eaux, les sédiments et les aliments. Ils représentent un danger important pour les écosystèmes mais aussi pour l’homme. Le ministère de la santé précise que des études épidémiologiques ont mis en évidence des liens entre l’exposition aux pesticides et le risque d’apparition de pathologies cancéreuses, neurologiques ou encore des troubles de la reproduction. Malheureusement, se passer d’intrants est une réelle épreuve. La FAO a par exemple estimé que les herbicides permettaient d’éviter 75% des pertes de rendement en culture de maïs.

Mais l’IA permet encore une fois de s’affranchir du problème. En analysant des images satellites, de drone ou de robots, elle peut prédire l’arrivée de parasites. L’intelligence artificielle est ensuite utilisée pour cibler les mauvaises herbes et les nuisibles, évitant ainsi la pulvérisation de pesticides sur l’intégralité des plantations. La startup allemande Dahlia Robotics a par exemple créé un robot autonome doté d’un système optique et d’IA. Il est capable de détecter et d’éliminer les mauvaises herbes avec une précision de 99 % sans utiliser d’intrant toxique. 

L’IA pour maximiser la rentabilité agricole

L’agriculture durable ne peut pas se contenter de ne traiter que de l’environnement. En effet, pour durer, elle doit être en mesure de dégager du profit. Le premier levier sur lequel elle peut agir est la réduction des coûts. Pour ce faire, elle mise sur l’amélioration de l’efficacité des techniques agricoles (ou Agritech). C’est sûrement dans ce domaine que l’IA trouve le plus d’applications. Par exemple, elle prédit avec précision les meilleurs moments pour semer et récolter, elle avertit des risques de maladies ou optimise les tâches de l’agriculteur. Bloomfield, startup américaine, s’inscrit dans cette perspective. Elle a développé une IA qui mesure le rendement, la maturité et l’état de santé d’une plante. L’agriculteur bénéficie ainsi de plus de visibilité sur ses futures récoltes, ce qui lui permet d’agir plus tôt et avec moins de moyens.

Dans cette même optique de profitabilité, l’IA trouve une grande utilité dans l’automatisation des machines agricoles. L’agriculteur se libère du temps et économise de l’argent en confiant des processus agricoles comme le labourage, la coupe ou même la récolte aux machines. La startup française AgreenCulture est une référence dans le domaine. CEOL, son robot 100% autonome remplace l’intégralité des tâches d’un tracteur, sans aucune supervision humaine. L’entreprise permet ainsi à l’agriculteur de remplacer 8 heures de conduite de tracteur par 1 heure de gestion du robot. Dès lors, il peut se consacrer à des activités à plus forte valeur ajoutée et donc optimiser sa productivité. 

Toutefois, les agriculteurs continuent de subir une forte pression sur les prix de la part des négociants. Réduire les coûts agricoles ne sera pas suffisant. De nombreuses solutions émergent donc pour résoudre ce problème, en s’alliant à l’IA. Certaines applications permettent de vendre sa production au meilleur moment, en fonction de l’évolution des cours sur les matières premières, des prix d’achats et des aléas externes. D’autres sont capables de simuler plusieurs scénarios économiques ou climatiques et d’en estimer les risques. Tous ces cas d’usages rendent l’agriculteur plus savant. La startup Xyonix utilise par exemple les données récoltées par ses clients pour construire des modèles prédictifs d’IA. L’une de ses fonctionnalités principales est la prédiction des prix des récoltes agricoles. Les agriculteurs peuvent dès lors adapter leurs productions, minimiser les risques et prédire leurs revenus. Ainsi, ils rééquilibrent leur position dans les négociations.

L’IA pour une agriculture durable plus juste

Respecter les hommes

Une agriculture qui ne parvient pas à protéger et améliorer le bien-être de ses parties-prenantes ne peut pas être considérée comme une agriculture durable. Puisqu’elle concerne la société dans son ensemble et nourrit les hommes, l’agriculture doit devenir socialement durable. En d’autres termes, elle doit s’assurer de la pérennité de la chaîne d’approvisionnement, en produits sains et de qualité. Cette chaîne commence par le respect des conditions de travail ainsi que de la santé des travailleurs et des habitants. Sur ce point, l’intelligence artificielle a fait ses preuves. La startup irlandaise MachineEye exploite la puissance de l’IA pour créer des environnements de travail plus sûrs dans les exploitations agricoles. Sa technologie permet d’identifier les humains en temps réel et d’anticiper leur éventuelle interaction avec les machines afin de prévenir les accidents.

Assainir les productions

De plus, dans ce souci de recherche d’équilibre social, l’agriculture durable doit certifier la sécurité sanitaire des productions. La transparence agricole est ainsi un principe primordial de l’agriculture durable. Les technologies d’IA sont capables d’analyser toutes sortes de produit et d’en révéler le niveau de qualité. Yaroktt Microbio, une startup israélienne, a par exemple mis au point une IA de détection rapide des bactéries (Listeria, Salmonelle…) et intrants toxiques. Ainsi, cette technologie protège les consommateurs en améliorant significativement la sécurité alimentaire sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. La santé et la sécurité sont également une question essentielle pour les agriculteurs. Par exemple, de nombreuses études ont montré que les agriculteurs courent un risque plus élevé de développer des formes de cancer en raison de leur exposition aux pesticides. Cela nous ramène à l’importance de tirer parti de technologies comme l’IA pour réduire l’utilisation de pesticides et d’herbicides.

S’inscrire parmi les hommes

Enfin, l’agriculture durable recherche un décloisonnement des rapports entre agriculture et société. Cette ouverture vers l’extérieur vise à atteindre une production pour la société par la société. De nombreux concepts d’Agritech vont dans ce sens, notamment les fermes urbaines dites « verticales ». Selon les Echos, 520 millions de dollars ont été investis dans ces solutions en 2020. Il s’agit de structures verticales, souvent construites en zone urbaine, dans lesquelles sont cultivées des quantités très importantes de denrées alimentaires. Des startups, comme Seasony au Danemark, proposent d’automatiser l’exploitation de ces fermes grâce à des robots intelligents. Ces derniers libèrent de la force de travail et permettent indirectement de rapprocher les productions agricoles des autres sphères sociétales.

Ainsi l’intelligence artificielle, par sa pluralité d’applications, est parvenue à apporter des réponses aux enjeux clés de l’agriculture durable. Pourtant, bien que la popularité de l’IA dans l’agriculture ne cesse d’augmenter, il semble que son image de technologie complexe freine quelque peu son adoption. L’IA, en tant que technologie de pointe, nécessite effectivement des travailleurs qualifiés et un haut niveau de formation. Permettre aux agriculteurs de surmonter leur réticence demandera donc beaucoup de temps et d’argent. Mais l’innovation et l’adaptation n’ont rien de nouveau dans l’agriculture. Tout au long de l’histoire, la technologie n’a eu de cesse de révolutionner la manière dont les hommes travaillent et se nourrissent. L’IA ne fera sans doute pas exception.

Article écrit par Mathis Ferrand, VC Startup Scout à Early Metrics

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