La computer vision au service de la défense
By Margaux Cervatius - 21 janvier 2021
Concept né en 1956, l’intelligence artificielle (IA) s’est fait une place dans de nombreux domaines. Dans le secteur de la défense, l’IA, et notamment la branche de la computer vision, représente une plus-value indéniable. La computer vision ou vision par ordinateur permet aux forces armées d’optimiser leurs missions, de renforcer la sécurité des soldats et de protéger les citoyens. Ainsi, le marché de l’intelligence artificielle dans le domaine militaire devrait atteindre 8,70 Mds$ en 2022, grâce à une croissance annuelle de 14,75 % de 2017 à 2022.
La computer vision permet aux systèmes d’interpréter des données visuelles (photos ou vidéos) afin d’en extraire des informations. Elle utilise le deep learning pour former des réseaux de neurones qui guident les systèmes dans le traitement et l’analyse de ces images. Une fois entraînés, ces modèles peuvent reconnaître des objets et des personnes et même suivre leurs mouvements.
Véhicules, drones et armes autonomes
La computer vision se révèle être une technologie essentielle pour le développement des véhicules autonomes. En effet, elle remplace l’œil du conducteur. Elle permet au véhicule de détecter des piétons ou d’autres objets et d’éviter les potentiels obstacles. Dans la défense, les véhicules autonomes semblent encore plus pertinents que dans le secteur civil. Ils permettent d’accéder à des sites dangereux et sont soumis à moins de contraintes puisqu’ils circulent rarement dans des centres-villes en présence de piétons par exemple.
La société Israel Aerospace Industries développe une gamme de véhicules militaires autonomes. RoBattle est un petit tank autonome capable de franchir de nombreux obstacles. Il peut être utilisé pour la collecte d’informations, la reconnaissance de terrain, la protection de convois, mais également pour l’appât. La société propose également Panda, un bulldozer autonome. Celui-ci peut servir pour des actes de démolition clés ou pour l’ouverture de voies sur des terrains difficiles. Ces véhicules permettent ainsi de réaliser des tâches clés sans mettre en danger un conducteur.
La computer vision sert également à piloter les armes autonomes : drones de combat (génération de trajectoires, adaptation à l’environnement), robots tueurs,… Ces armes peuvent avoir une action létale de manière automatisée sans intervention humaine. Elles offrent également une plus grande précision pour la reconnaissance de zones et objets d’intérêt. Les algorithmes combinent des données GPS aux données terrain pour affiner au maximum la cible et éviter les dommages collatéraux.
Surveillance et détection de risques
La computer vision est également très utile en dehors des terrains de combat, notamment pour l’analyse d’informations. Les services de renseignement doivent traiter des quantités importantes d’informations collectées par des drones ou des caméras de surveillance. L’automatisation semble être la solution idéale pour éviter de passer à côté d’informations clés. En outre, la computer vision peut effectuer un premier filtre des données les plus pertinentes et les pré-traiter (détection de personnes dans une photo par exemple).
C’est là l’objectif du projet Maven lancé par les États-Unis en 2017. L’armée dispose d’équipement utilisant la computer vision et souhaitait développer une IA capable de catégoriser les énormes quantités d’images de surveillance collectées. L’IA détecte les véhicules et les personnes et suit les objets d’intérêt.
La reconnaissance faciale joue un rôle clé dans la lutte contre le terrorisme. Elle permet de repérer plus facilement les individus dangereux. La startup israélienne Corsight AI a mis au point un outil de reconnaissance faciale qui permet d’identifier les individus en temps réel, même lorsqu’une partie de leur visage est masquée.

Les outils de reconnaissance faciale peuvent également être associés au deep learning pour une meilleure détection des risques. Les algorithmes sont entraînés pour reconnaître les comportements normaux et émettent une alerte en cas de comportement anormal.
Des scientifiques libanais ont également utilisé la computer vision pour mettre au point un logiciel de détection de mines antipersonnel. Les algorithmes ont été entraînés sur des milliers d’images de deux types de mines antichars. Celles-ci montrent les mines couvertes, partiellement couvertes et à l’envers, sous différents angles et dans différentes conditions de luminosité. L’outil permet ainsi d’identifier 99,6 % des mines terrestres non cachées.
Production et inspection des armes
La computer vision est une technologie très utilisée dans l’industrie 4.0. Elle garantit la production de pièces de qualité puisqu’elle détecte automatiquement les anomalies ou imperfections. L’excellence du contrôle qualité est d’autant plus essentielle dans la production d’équipement militaire puisque des défauts dans les pièces ou les composants peuvent s’avérer fatals. Le contrôle manuel est inefficace et sujet à l’erreur tandis que la computer vision offre une grande précision et évite de ralentir la production.
De nombreuses startups développent des solutions de computer vision pouvant être appliquées à l’industrie, à l’instar de XXII, qui se place dans le top 10 % des startups notées par Early Metrics. Parmi ses nombreux cas d’usage, XXII offre une solution de détection de défauts sur les chaînes de production, avec une précision au micron. La société américaine Integro Technologies a quant à elle adapté sa solution au secteur militaire. Grâce à la computer vision, le système détecte les éventuelles fractures et imperfections sur la surface d’une douille ou d’une grenade jusqu’à 0,004 mm et valide ou non la conformité de l’objet.
La computer vision peut également être utilisée à des fins de maintenance prédictive. En effet, les équipements militaires peuvent être inspectés et les algorithmes détectent les dommages ou marques d’usure. La technologie permet d’intervenir avant qu’une panne se produise et de limiter les coûts, mais aussi les risques. Si la panne se produit en milieu hostile, les militaires peuvent se retrouver en danger. En avril 2018, le ministère français des Armées avait ainsi confié à Safran Helicopters Engine le soin de mener l’étude DOMINNO. Ce projet de maintenance prédictive fondé sur le big data visait à faciliter le maintien en condition opérationnelles des hélicoptères militaires.
Risques associés à la computer vision dans le secteur de la défense
Ainsi, la computer vision offre de nombreuses applications pour le secteur de la défense. Toutefois, cette technologie reste assez jeune et parfois peu mature. Les algorithmes de reconnaissance d’images peuvent produire un résultat totalement erroné ou se faire leurrer par la variation de quelques pixels. Dans le secteur de la défense, une telle erreur peut s’avérer fatale.
En plus du risque d’erreur, la computer vision peut présenter des biais :
- involontaires lorsque les données d’apprentissage ne sont pas représentatives (par exemple, biais ethnique dans des données de population) ;
- volontaires si un tiers a réussi à modifier les données d’apprentissage ou le modèle afin de produire un résultat anormal.
Un autre risque est celui de la dépendance technologique. En effet, l’écosystème mondial de l’IA est dominé par les grands acteurs du numérique américains et chinois. Le deep learning nécessite également des capacités de calcul massif pour entraîner des réseaux de neurones avec de grandes quantités de données. Cela passe principalement par des clouds publics ou privés, qui sont là aussi majoritairement dominés par des acteurs américains.
Tous ces risques expliquent peut-être la défiance de l’opinion publique. Dans un rapport de septembre 2019, le ministère des Armées insiste sur l’importance de développer une IA de confiance éthique et respectueuse du cadre fixé par l’homme. L’IA doit rester complémentaire à l’homme et s’inscrire dans un cadre d’analyse et d’aide à la décision qui place l’humain au centre de la réflexion.
Vers une nouvelle forme de guerre ?
Aujourd’hui, les technologies d’IA ne sont pas assez matures pour changer radicalement la nature de la guerre. Toutefois, ce domaine évolue rapidement et plusieurs pays ont relancé une course aux armements qui repose principalement sur l’IA. Il sera bientôt possible de prévoir les modes d’action établis par les IA adverses ou de paralyser les capacités de commandement de l’adversaire en neutralisant ou détournant les technologies d’IA. Plus que jamais, les gouvernements doivent mettre en place des solutions garantissant la confidentialité et la maîtrise des informations. En collaborant avec des startups nationales, ils pourraient en même temps maintenir leur souveraineté technologique.