Technologie et fraude à l’assurance : un cercle vicieux ?
By Katerina Mansour - 28 avril 2020
La fraude à l’assurance est un problème répandu qui ne montre pas de signe de ralentissement. Elle est souvent vue, à tort, comme un crime sans victime. Pourtant, au-delà des importantes pertes d’argent et de réputation subies par les compagnies d’assurance, ces crimes entraînent une augmentation des primes et un ralentissement du traitement des demandes d’indemnisation pour les consommateurs.
Ce problème est plus que jamais d’actualité, puisque les cas de fraude à l’assurance devraient augmenter face à la pandémie de Covid-19. En effet, des études récentes confirment déjà la hausse du nombre d’escroqueries en lien avec la Covid-19. Cela n’est pas surprenant : rappelez-vous la crise économique de 2008-2010, où les fausses déclarations et les escroqueries étaient monnaie courante. Il y a fort à parier que la pandémie actuelle et la crise économique qui en découle verront également une explosion des fraudes à l’assurance, surtout dans les pays les plus touchés par le coronavirus.
Juste la partie visible de l’iceberg
Les coûts de la fraude, détectée et non détectée, en Europe en 2017 sont estimés à 13 Mds€. L’Association of British Insurers rapporte que les demandes d’indemnisation frauduleuses ont coûté 1,3 Mds£ au gouvernement britannique en 2018. Selon des estimations prudentes, la fraude coûterait 80 milliards de dollars par an aux États-Unis, toutes branches d’assurance confondues. La fraude à l’assurance couvre de nombreux secteurs (santé, automobile, habitation, vie, etc.) et de nombreux cas restent non détectés, ce qui laisse penser que ces chiffres ne représentent que la partie visible de l’iceberg.
Toutefois, la mise en place récente de mesures adaptées de lutte antifraude ont permis aux assurances d’économiser des millions. Par exemple, Allianz UK affirme avoir économisé 65,2 M£ en 2019 grâce à ses efforts déployés dans la détection de fraude. En effet, les investissements dans la lutte antifraude augmentent et le marché de la détection et de la prévention des fraudes devrait connaître un TCAM de 23 % de 2019 à 2025.
Chaque solution apporte son lot de défis
L’utilisation d’outils de machine learning, d’analyse prédictive et de data mining est devenue courante pour renforcer la détection des fraudes. Il est essentiel de détecter les fraudes à temps, puisqu’il existe peu de moyens de dissuasion pour les fraudeurs. En raison du coût élevé des démarches juridiques et de l’incertitude quant à leur issue, les assureurs hésitent à poursuivre les cas de fraude. Cependant, pour chaque solution qui se dessine dans la détection de la fraude à l’assurance, il semble y avoir des risques et des pièges associés.
Détection d’anomalie :
La détection d’anomalie est une des tendances principales dans le secteur de la cybersécurité et offre de nombreux cas d’usage, dont la prévention des fraudes. Dans le cas de la fraude à l’assurance, les modèles de machine learning (ML) apprennent à quoi ressemble une demande d’indemnisation normale afin d’établir un point de référence. Une fois cette référence définie, ils peuvent détecter les anomalies et alerter les assureurs.
Les outils d’analyse visuelle utilisent le même principe : un système de reconnaissance d’image alimenté par l’IA examine visuellement un véhicule ou des dommages matériels à partir de photos ou vidéos et détermine si la déclaration de dommage est exacte ou non. De même, les outils d’analyse comportementale sont capables de détecter les comportements suspects des clients.
Cependant, les anomalies ne veulent pas toujours dire qu’une faute a été intentionnellement commise. Des accidents et des erreurs peuvent se produire, sans être motivés par des intentions frauduleuses. L’IA n’est toutefois pas capable de détecter l’intention lors de la recherche d’anomalies. Si des clients honnêtes voient leur demande bloquée car interprétée à tort comme une fraude par l’IA, cela peut nuire à l’expérience client et mener à la perte de précieux clients. C’est une des raisons pour lesquelles l’intervention humaine reste nécessaire.
Analyse prédictive :
Comme mentionné précédemment, l’analyse prédictive est vue par beaucoup comme un outil essentiel pour lutter contre la fraude à l’assurance. Comme pour la détection d’anomalie, l’analyse prédictive implique d’entraîner des algorithmes d’intelligence artificielle ou de machine learning à partir de données historiques pour qu’ils puissent à terme anticiper les futurs incidents. La possibilité de prédire les faiblesses dans un processus d’indemnisation est évidemment très alléchante pour les assureurs, qui pourraient ainsi gagner du temps précieux et agir pour empêcher les fraudes plutôt que réagir pour les résoudre.
Cependant, même l’analyse prédictive reste plus réactive que proactive. Cette solution dépend de l’utilisation de données historiques et ne peut donc pas détecter les nouveaux types de fraude puisque les modèles n’ont pas été entraînés à les reconnaître.
Blockchain :
La technologie blockchain a également été présentée comme la solution idéale pour lutter contre la fraude à l’assurance. Un registre blockchain enregistre de façon permanente toutes les transactions, sans recours à un quelconque tiers centralisateur. Toute nouvelle information ajoutée au registre est automatique synchronisée pour tous les utilisateurs concernés. En gros, chaque bloc est lié à un bloc précédent, et ils sont tous horodatés. Si un hacker tente d’altérer des informations dans l’une des copies de la blockchain, celles-ci seraient rejetées par les autres copies en raison de l’incohérence.
Toutefois, malgré l’engouement pour la blockchain dans de nombreux secteurs ces dernières années, cette technologie a ses risques et ses limites. Les cyberattaques restent un problème majeur : le concept de blockchain poisoning, par exemple, consiste à inonder un réseau de données privées ou illégales afin de le rendre incompatible avec les réglementations locales et donc inutilisable. Plus particulièrement, les pirates ont ciblé les points d’extrémité de la blockchain pour voler des millions, comme en 2019 lorsque 40 millions de dollars de Bitcoins ont été volés à la bourse Binance au cours d’une seule transaction.
Au-delà des données
Les données historiques ne permettent pas de prédire toutes les occurrences possibles de fraude à l’assurance, d’autant plus que toutes les données ne sont pas toujours fiables. Selon une enquête de 2016 sur les principaux défis des assureurs dans la lutte efficace contre la fraude, les trois principaux enjeux sont la confidentialité et la protection des données, l’accès à des sources de données externes et les problèmes de qualité des données internes. Améliorer l’accès aux données externes pourrait aider à avoir de meilleurs arguments pour accepter, rejeter ou modifier des conditions. Avoir une vision complète de l’historique d’une personne avec d’autres assureurs serait aussi un atout majeur pour détecter les comportements frauduleux.
En définitive, l’IA ne peut à elle seule résoudre le problème de la fraude à l’assurance. Les experts continuent d’insister sur la valeur inestimable de l’expertise humaine. Les algorithmes n’auront pas toujours raison, surtout lorsque les données d’une entreprise soulèvent des problèmes de fiabilité ou des biais. De plus, l’IA n’est pas forcément capable de faire la différence entre un accident et une faute intentionnelle. Ainsi, dans un avenir proche, un certain niveau d’intervention humaine reste nécessaire pour s’assurer que ces algorithmes gagnent en intelligence et éviter des erreurs coûteuses.
Quelles que soient les limites des technologies antifraude, les assureurs doivent changer de mentalité s’ils veulent avoir une chance de déjouer les fraudeurs. Pour sécuriser leur avenir, les compagnies d’assurance ont tout intérêt à se doter d’équipes agiles pour tester régulièrement leurs systèmes, explorer des solutions de haute technologie et rechercher des partenaires innovants.
Les startups, une source précieuse de solutions antifraude
Les startups représentent une source de connaissances et d’outils indispensables pour permettre aux assureurs de garder une longueur d’avance sur le marché (et sur les fraudeurs). Des startups du monde entier ont évidemment saisi l’occasion d’appliquer la technologie au problème de la fraude à l’assurance, en apportant au marché de nombreuses solutions prometteuses.
Shift Technology, par exemple, a été notée par Early Metrics en juillet 2018 et développe une solution SaaS alimentée par l’IA qui détecte les fraudes en utilisant les demandes précédentes, les données des contrats, les scénarios de fraude et les données de tiers (médias sociaux, géolocalisation, etc.). Un autre exemple est celui de Featurespace, une startup basée au Royaume-Uni, qui utilise le machine learning et l’analyse comportementale adaptative pour surveiller les transactions et détecter la fraude.
Inspektlabs, également notée par Early Metrics en décembre 2019, propose un logiciel de vision par ordinateur et de machine learning qui aide à automatiser les processus d’inspection des véhicules pour, entre autres, détecter et prévenir la fraude. La startup Photocert, très bien notée, développe une forme similaire d’inspection numérique pour les assureurs de biens et d’automobiles afin de détecter les fraudes par le biais de photos.
Les assureurs : à la fois victimes et gagnants du progrès technique ?
Comme dans beaucoup d’autres secteurs, le marché de l’assurance profite et souffre en même temps des progrès technologiques. Les fraudeurs s’empressent de s’approprier ces avancées et d’apprendre rapidement comment les utiliser à leur avantage ou les contourner.
Néanmoins, les startups qui embrassent l’innovation mènent des activités de R&D afin de trouver les meilleurs moyens de résoudre ce problème. La fraude à l’assurance semble loin d’être vaincue, mais le marché de la détection et de la prévention de la fraude, dynamique et en pleine croissance, offre aux assureurs de nouveaux outils innovants pour réduire les risques et les pertes.