Les technologies au service de l’inclusion financière
By Anais Masetti - 23 juillet 2020
Traduit de l’anglais par Margaux Cervatius
Malgré les progrès importants réalisés dans le monde entier pour améliorer l’inclusion financière, on estime qu’environ un adulte sur trois n’a toujours pas accès aux services financiers, ce qui représente 1,7 milliard de personnes non bancarisées.
Les gouvernements se sont engagés en faveur de cette cause par le biais d’initiatives telles que les Principes de haut niveau sur l’inclusion financière numérique du G20 ou l’initiative pour un accès universel aux services financiers à l’horizon 2020 de la Banque mondiale. Ce ralliement autour de l’inclusion financière a été renforcé par la prise de conscience qu’un meilleur accès aux produits et services financiers a des répercussions sociales et économiques de grande envergure. L’inclusion financière a même été identifiée comme étant la cible de sept des dix-sept objectifs de développement durable établis par les Nations Unies. Au niveau local, l’Inclusion Foundation estime que des services inclusifs pourraient débloquer 500 M£ pour les institutions au Royaume-Uni et aider les Britanniques à économiser 1,8 Md£ par an.
Parallèlement aux efforts publics visant à améliorer l’éducation financière et l’accès aux services, les startups jouent un rôle intéressant pour faciliter l’utilisation des services financiers et leur adaptation aux marchés de niche ou mal desservis. Cela comprend notamment les personnes malvoyantes, les personnes âgées, les travailleurs indépendants mais aussi les femmes, qui sont souvent exclues ou désavantagées par les services traditionnels. Grâce à des approches innovantes et aux nouvelles technologies, ces jeunes sociétés sont en mesure de mieux répondre aux besoins spécifiques de ces publics.
Rien ne vaut quelques exemples pour mesurer le rôle que peuvent jouer les startups dans l’inclusion au système financier des personnes sous-bancarisées.
Solutions pour les malvoyants
Les témoignages de personnes atteintes de déficience visuelle révèlent que de nombreuses innovations apportées par la scène fintech ont eu des effets positifs inattendus sur leur accès aux services financiers. Par exemple, Alex Man, un consultant en accessibilité qui a en partie perdu la vue à cause d’un glaucome, explique que la décision de Monzo de rendre sa carte de débit orange vif (ou « corail » selon la néobanque) lui a été bénéfique car elle lui permet de la voir et la trouver plus facilement même avec une vision limitée.
Dans l’ensemble, l’essor des services bancaires en ligne et des applications pour smartphones a supprimé la nécessité de se rendre dans une agence bancaire physique et a donc largement profité aux clients aveugles et malvoyants. L’authentification biométrique, telle que le système FaceID d’Apple et la reconnaissance des empreintes digitales, désormais disponible sur la plupart des smartphones, a également facilité l’expérience de paiement et de transfert pour ces personnes.
Au-delà des services purement fintech, la technologie de reconnaissance d’images permet également aux personnes malvoyantes de prendre le contrôle de leurs finances. Par exemple, Envision a développé une application mobile qui décrit à haute voix l’environnement immédiat de l’utilisateur. Grâce à une technologie ultra-rapide de reconnaissance optique de caractères, le smartphone peut lire toutes sortes de caractères et même scanner des codes-barres. Les utilisateurs malvoyants peuvent donc être plus indépendants dans leur expérience d’achat car ils sont capables de connaître le prix et la nature des produits en magasin. Ainsi, bien qu’elles ne s’inscrivent pas dans le secteur fintech à proprement parler, les startups comme Envision contribuent à améliorer la santé financière des malvoyants.
Innovation financière pour les personnes âgées
Les personnes âgées représentent une grande partie des personnes malvoyantes, donc naturellement, les avantages des solutions fintech décrits ci-dessus s’étendent également à ce public. D’autres startups conçoivent des produits fintech destinés à protéger les clients âgés contre la fraude et les abus financiers tout en les aidant à mieux gérer leurs finances.
L’OMS estime que 13,8 % des personnes âgées sont victimes d’abus financiers dans les milieux institutionnels (maisons de retraite, hôpitaux…). De son côté, Age UK affirme que toutes les 40 secondes, une personne âgée est victime de fraude. Face au vieillissement de la population, l’Europe va certainement voir la demande de services financiers sécurisés et adaptés aux plus de 60 ans augmenter, et de nombreuses startups saisissent déjà cette opportunité.
Par exemple, Kalgera fournit un système d’alerte qui aide les soignants à repérer une activité inhabituelle sur le compte bancaire d’une personne âgée. Parallèlement, Touco, une startup notée par Early Metrics, développe une carte qui permet aux soignants désignés d’effectuer en toute sécurité des achats au nom de personnes âgées et vulnérables. Les deux startups ont récemment été récompensées pour leur contribution à l’inclusion financière lors du concours Open Up 2020 Challenge organisé par Nesta.
En mai 2020, la fintech Contis a également lancé son service « Carer Banking » destiné aux personnes vulnérables et à leurs soignants, afin de répondre à la pression financière croissante et au risque que représente la pandémie de coronavirus. Toutes ces solutions limitent le montant d’argent et les informations sensibles partagées avec les soignants ou les mandataires, réduisant ainsi les risques d’abus financier. En exploitant des fonctionnalités telles que le suivi et les notifications des dépenses en temps réel, l’identification par smartphone, ou encore le blocage des cartes de crédit via une application, ces startups permettent aux personnes âgées de se libérer d’une partie de la gestion de leurs finances en la confiant à leurs soignants. Elles peuvent ainsi améliorer leur bien-être financier, tout en se protégeant de la fraude et des abus.
Vers une meilleure inclusion financière des femmes
Le rapport Global Findex révèle que 72 % des hommes ont un compte dans le monde contre 65 % des femmes, soit un écart de 7 points entre les sexes. Si la différence est plus prononcée dans les pays en développement, les femmes du monde entier ont généralement plus de mal à accéder aux financements et à être financièrement indépendantes.
Selon une étude d’Oliver Wyman, les femmes retraitées ont un solde bancaire de 30 à 40 % inférieur à celui des hommes. L’étude a également montré que si les femmes contrôlent 75 % des dépenses du ménage, elles ont 25 % moins confiance dans leurs compétences financières. En outre, les femmes sont plus susceptibles que les hommes de ne pas être assurées et de se voir refuser un prêt immobilier. Tous ces facteurs rendent les femmes plus vulnérables que les hommes aux abus financiers et à la pauvreté.
Bien qu’elles ne ciblent pas uniquement une clientèle féminine, les fintechs d’épargne et d’investissement en ligne ou mobile rendent les services financiers plus accessibles aux femmes. Par exemple, les startups comme Oval Money et Goin (classée dans les 25 % des startups les mieux notées par Early Metrics) permettent aux utilisateurs de se fixer des objectifs financiers, petits ou grands, et de prendre des mesures pour atteindre ces objectifs grâce à l’arrondi sur paiement et à l’investissement automatique. Avec des frais moins élevés, des options d’investissement plus flexibles et un accès plus pratique par téléphone, ces solutions innovantes sont plus adaptées aux clientes, souvent peu enclines à prendre des risques et à se préoccuper de leurs finances.
Certaines entreprises, grandes et petites, ont créé des services spécialement conçus pour aider les femmes à gagner en autonomie[JD3] , avec une éducation financière et des services de financement dédiés. Du côté des startups, on trouve des sociétés telles que Smart Purse (éducation financière), Basis (financement) et Ellevest (robot-conseiller). Du côté des acteurs historiques, nous pouvons citer la société suisse Bank Cler qui a créé la gamme de produits Eva destinés à sa clientèle féminine, comprenant entre autres des conseils financiers spécialisés.
Du point de vue du financement, il a été statistiquement prouvé que les femmes chefs d’entreprise ont moins de chances que les hommes d’obtenir un financement par les voies traditionnelles telles que les prêts bancaires et les investissements de capital-risque. Par conséquent, l’émergence des microcrédits, des prêts entre particuliers et du crowdfunding ont augmenté les possibilités des femmes entrepreneurs et la croissance de leurs entreprises.
La fintech au service des travailleurs précaires
Il existe une autre population qui a été à plusieurs reprises mal servie par le secteur financier : les travailleurs précaires. Elle englobe une variété de cas, notamment les travailleurs indépendants, les propriétaires de petites entreprises et les travailleurs sous « contrat zéro heure ». Avec l’émergence de l’économie à la demande et l’essor de l’entrepreneuriat, le nombre de personnes ayant des revenus irréguliers a explosé. La précarité potentielle de leurs conditions de travail n’est pas adaptée aux méthodes d’évaluation du crédit traditionnellement peu enclines au risque, ce qui place ces personnes dans une situation nettement désavantageuse lorsqu’il s’agit d’accéder à des services financiers.
Tout comme les femmes, les travailleurs précaires se sont vu proposer des solutions de financement plus adaptées depuis l’arrivée de nouveaux acteurs de la fintech (sous la forme de microcrédits, de crowdfunding, etc.). En outre, certaines startups adoptent des approches qui répondent mieux aux besoins de ces travailleurs. Par exemple, la startup Myos, très bien notée par Early Metrics, fournit un financement de croissance aux petits commerçants avec des plans de remboursement flexibles et en utilisant les produits du client comme garantie.
Un autre bon exemple est Trezeo, également notée par Early Metrics et lauréate du MIT Inclusive Innovation Challenge 2018. Trezeo développe une application mobile qui permet aux travailleurs indépendants d’équilibrer leurs revenus. Elle leur fournit un compte bancaire, des prêts automatisés à court terme et sans intérêt pour les mois à faible activité, et des fonctions d’épargne automatisées lorsque l’activité est en hausse.
Les startups qui répondent aux besoins changeants des travailleurs indépendants adoptent généralement une approche du risque de crédit fondée sur les données et placent la flexibilité au centre de leurs modèles. Grâce à leurs structures rationalisées, ces entreprises peuvent également se permettre d’offrir leurs services à un prix inférieur à celui de la plupart des acteurs financiers traditionnels.
Dans l’ensemble, il est encourageant de voir que la technologie des smartphones, la numérisation des services financiers et l’émergence de nouveaux produits fintech ont eu plusieurs avantages inattendus pour des personnes qui étaient auparavant exclues du système financier. Mais si la fintech a amélioré l’inclusion financière, il reste des progrès à faire pour garantir à tous les individus un accès égal aux services financiers, indépendamment de leur sexe, de leur état de santé, de leur âge ou de leur activité professionnelle. Nous continuons à croire que les startups, en collaboration avec les institutions financières, favorisent le changement positif et continueront à le faire. Face à l’incertitude économique provoquée par la pandémie actuelle, ces efforts seront d’autant plus nécessaires pour aider les personnes vulnérables à protéger leur bien-être financier.