LVMH et Early Metrics : vers un modèle proactif d’achats innovation

By Anais Masetti - 19 novembre 2021

Au cours des dix dernières années, les directions achats innovation ont été confrontées à des défis sans précédent. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la recherche de fournisseurs innovants capables de répondre à des tendances en constante évolution. Ces services achats ne sont plus seulement censés répondre au cahier des charges fourni par les différentes unités commerciales. Ils se penchent aussi sur des questions telles que « quelle est la meilleure approche pour répondre à une tendance » et « quel type de partenaire externe est le plus adapté à nos besoins ».

Christian Galichon, responsable des achats chez LVMH, et Antoine Baschiera, cofondateur d’Early Metrics, discutent ci-dessous de l’évolution de l’approche des achats innovation au cours des dix dernières années. Ils partagent également leurs points de vue sur la manière dont les équipes achats peuvent adapter au mieux leur stratégie aux tendances actuelles.

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Définir et répondre aux besoins de l’entreprise

Selon Antoine Baschiera, ce qui a changé, c’est surtout la façon dont les sous-branches ou les unités commerciales expriment leurs besoins aux équipes achats. Auparavant, elles venaient aux achats avec une idée de la solution dont elles avaient besoin pour un problème spécifique. Aujourd’hui, elles réfléchissent plus largement à ce qui doit être amélioré dans leurs activités. Par conséquent, les unités commerciales se tournent vers l’équipe chargée des achats innovation pour qu’elle trouve la solution susceptible de concrétiser ces améliorations.

Antoine Baschiera explique : « Auparavant, nos clients des services achats nous donnaient un cahier des charges pour le sourcing requis. Mais ces derniers temps, nous avons eu plusieurs cas où les unités commerciales n’avaient fourni aucune spécification à l’équipe chargée des achats. De ce fait, nos clients des services achats ne pouvaient plus nous fournir de briefs détaillés pour le sourcing de startups. »

Compte tenu du fait que LVMH a principalement une offre de détail B2C, Christian Galichon a remarqué : « La façon dont nos clients se comportent et donc la façon dont nos marques interagissent avec eux a été profondément bouleversée, ce qui présente de multiples défis du point de vue des achats. » La numérisation du retail a entraîné la multiplication des canaux de communication avec les clients, des canaux d’achat et des modes de paiement. La pandémie de Covid-19 n’a fait qu’intensifier ces tendances. Ainsi, les interactions entre les marques du groupe LVMH et leurs clients se sont complexifiées, ce qui met davantage de pression sur l’approvisionnement en innovation. Il a ajouté :

« Notre écosystème de prestataires est également devenu plus complexe car il y a des aspects physiques, financiers, administratifs et expérientiels qui doivent être abordés différemment. »

Christian Galichon a expliqué que son équipe chargée des achats innovation a adopté une approche progressive de la transformation numérique, en fonction des besoins et des marchés de chaque marque du groupe et afin de minimiser le risque de perdre des clients fidèles. Aujourd’hui, son équipe s’attaque à de nouvelles problématiques telles que le système anti-fraude pour les retours et les remboursements de produits.

Trouver des fournisseurs potentiels pour répondre aux besoins d’innovation

Auparavant, les responsabilités étaient plus cloisonnées : l’unité commerciale identifiait un besoin et l’équipe achats se chargeait de trouver le meilleur fournisseur. Aujourd’hui, davantage de parties prenantes sont impliquées dans la constitution d’un panel de fournisseurs potentiels. Les responsables des unités commerciales peuvent proposer un ou plusieurs fournisseurs potentiels, car les startups s’adressent de plus en plus directement à eux.

Antoine Baschiera ajoute : « Un autre changement que nous avons remarqué chez Early Metrics est que les équipes chargées des achats recherchent désormais de nouveaux fournisseurs qui pourraient remplacer les fournisseurs existants pour répondre aux besoins du groupe de manière plus efficace ou plus innovante. C’est une chose que les services achats font déjà depuis longtemps, mais nous voyons maintenant les unités commerciales demander de manière plus proactive la remise en question des fournisseurs en place. »

Du côté de LVMH, chacune des 75 Maisons ou marques du groupe est assez indépendante et prescriptive dans son approche du sourcing. Christian Galichon explique que l’équipe d’approvisionnement au niveau du groupe soutient chaque marque à travers plusieurs canaux d’approvisionnement. L’un d’entre eux est l’incubateur de startups du groupe, hébergé à la Station F. Un autre canal découle du programme d’intrapreneuriat du groupe, LVMH DARE. Ce programme a abouti par exemple à la création de Nona Source, une plateforme de revente en ligne qui revalorise les tissus et les cuirs des différentes Maisons du groupe.

Une autre option de sourcing de l’innovation pour LVMH consiste à former des partenariats ou des consortiums avec d’autres grandes entreprises. Par exemple, la blockchain pour la traçabilité est un sujet de plus en plus important pour LVMH et le groupe déploie toujours plus d’efforts pour empêcher les contrefaçons d’entrer sur le marché. Il y a quelques années, LVMH a lancé le Consortium Aura Blockchain avec Microsoft et Consensys. Récemment, ils ont décidé d’ouvrir cette initiative à d’autres partenaires qui sont des concurrents directs sur le marché du luxe, comme Richemont et Prada. Christian Galichon explique :

« Nous avons décidé d’impliquer de nouveaux partenaires car il s’agit d’un défi à l’échelle du secteur, il n’y a donc pas de concurrence sur ce sujet et nous pensons que davantage d’acteurs pourraient bénéficier de cette blockchain. »

Enfin, Antoine Baschiera a observé que certaines méthodes traditionnelles de recherche de fournisseurs perdent progressivement de leur efficacité en raison de l’évolution du paysage des fournisseurs. Plus précisément, de nombreuses startups ont déclaré qu’elles ne postulent pas aux appels d’offres, soit parce qu’elles pensent que c’est une perte de temps, soit parce qu’elles ne savent pas comment y répondre correctement. Certaines PME craignent que leur candidature ne soit vouée à l’échec si elle n’est utilisée que comme monnaie d’échange.

Négociation et mise en place de contrats avec des PME innovantes

Chez Early Metrics, nous avons constaté que nos entreprises clientes ont des approches différentes pour négocier avec les PME. Les différents groupes ont des niveaux de rigueur variables dans leurs processus de négociation et de contrat. Certains utilisent exactement le même processus avec les startups ou les PME qu’avec les grands fournisseurs, en partant du principe que, quelle que soit sa taille, tout fournisseur doit fournir et se comporter de la même manière. Mais cette approche est de plus en plus rare.

Beaucoup d’autres ont mis en place des processus allégés et dédiés aux petits fournisseurs d’innovation. Des groupes tels que Sanofi et le Crédit Agricole ont été parmi les premiers à adopter un processus de négociation dédié aux startups. Christian Galichon explique qu’en dépit d’une approche très structurée, ils ont également créé des modèles de contrat en pensant aux startups, qui ne comprennent que les clauses essentielles. De cette façon, le processus de négociation est plus rapide, ce qui est bénéfique à la fois pour la startup et pour l’unité commerciale qui a besoin de la solution.

Avant l’émergence des startups comme fournisseurs, les interactions et les attentes étaient plus simples avec les grands fournisseurs établis. En effet, la négociation était principalement axée sur le coût. Le choix d’une startup comme fournisseur implique davantage de négociations autour du produit ou du service qui sera fourni. Il suppose souvent une certaine personnalisation du produit de la startup pour mieux répondre aux besoins du groupe. Parfois, cela va jusqu’au co-développement d’une nouvelle offre. L’accent est donc mis sur la valeur ajoutée plutôt que sur le coût. Un autre élément clé à garder à l’esprit est que les startups ont tendance à proposer des produits pour des cas d’utilisation spécifiques. Par conséquent, l’équipe achats peut faire appel à plusieurs startups qui peuvent chacune résoudre une partie spécifique du problème identifié.

Christian Galichon a également souligné l’importance de la conformité et de la protection des données des clients, quelle que soit la taille du fournisseur. Il a déclaré :

« Nous devons également faire attention à la manière dont les informations sensibles sont partagées avec de nouveaux tiers, en particulier lorsqu’elles concernent les consommateurs finaux. Nous devons nous assurer que nous ne compromettons pas notre conformité au RGPD et aux autres exigences réglementaires. Comme nous l’avons vu, les fuites de données peuvent avoir des conséquences extrêmement négatives. »

Gérer la relation avec les services achats innovation

Avec les grands fournisseurs, la question de la survie de l’entreprise ne se pose pas vraiment. Mais de toute évidence, les jeunes fournisseurs ont un risque de faillite beaucoup plus élevé à court ou moyen terme. C’est en partie pour cette raison que les responsables des achats innovation utilisent les notations de startups d’Early Metrics. Elles offrent une indication précise du niveau de risque de faillite des startups.

Être le client d’une startup, c’est aussi s’exposer à un risque inédit : que le prestataire pivote. Une jeune startup peut ne pas être totalement sûre d’être sur la bonne voie. En effet, elle peut décider de changer rapidement si elle repère de nouvelles opportunités de marché. Cela signifie qu’elle peut ne plus convenir à l’entreprise cliente après quelques mois ou années. Antoine Baschiera a ajouté :

« Alors qu’auparavant, les équipes chargées des achats devaient principalement se concentrer sur l’adéquation de l’offre du fournisseur, lorsqu’il s’agit d’une startup, elles doivent considérer l’ensemble de l’entreprise. Cela comprend à la fois les risques et les opportunités qu’elle peut présenter. »

Pour LVMH, la relation entre le groupe et les startups implique souvent un co-développement, ce qui n’est pas le cas avec la plupart de ses grands fournisseurs. L’équipe des achats innovation devra évaluer la relation avec un grand fournisseur, comme les fournisseurs d’énergie, et ses performances, beaucoup moins souvent que pour une startup. « Co-développer une solution avec des startups signifie que nous avons une relation beaucoup plus étroite, un aspect sur lequel Early Metrics nous a soutenus », a déclaré Christian Galichon. « Nous nous sommes appuyés sur Early Metrics à plusieurs reprises pour faire des évaluations à 360 degrés des startups, car il arrive souvent que leur pitch deck soit attrayant, mais que nous découvrions ensuite que ce n’était qu’un leurre.« 

Traduit de l’anglais par Julie Durban

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