Questions d’innovation : Mozzeno, le prêt entre particuliers et la pandémie
By Katerina Mansour - 19 novembre 2020
Le prêt entre particuliers tel que nous le connaissons aujourd’hui a connu ses débuts en 2004 avec Zopa, le premier acteur officiel du secteur. La crise financière de 2008 a ensuite entraîné la généralisation de cette pratique. En effet, le krach a terni la réputation des banques et a ainsi permis l’émergence de projets axés sur les consommateurs.
Les plateformes de prêt entre particuliers ont bouleversé le marché en créant une alternative rapide et pratique aux prêts bancaires. Elles offrent souvent des taux plus bas, une plus grande flexibilité et un risque réduit.
Les prêteurs comme les emprunteurs peuvent tirer des avantages considérables de ce nouveau type de financement : les emprunteurs peuvent accéder à de petits prêts à des taux plus bas, tandis que les prêteurs peuvent obtenir des rendements plus élevés sur leurs investissements.
Le Royaume-Uni est l’un des principaux marchés pour les prêts entre particuliers. En 2018, le volume des prêts au Royaume-Uni s’élevait à plus de 6 Mds£, soit une croissance de 20 % par rapport à 2017. Mais des acteurs du prêt entre particuliers sont apparus partout en Europe. L’adoption croissante de la finance en ligne ainsi qu’un environnement réglementaire (généralement) favorable ont soutenu la croissance de ce type de financement. Des études montrent que le marché européen du prêt entre particuliers pourrait représenter 7,1 Mds$ d’ici 2023, soit près du double de sa valeur en 2017.
Quel sera l’impact de la pandémie de covid-19 sur le prêt entre particuliers ?
Malgré tous les avantages qu’il présente, le prêt entre particuliers a été confronté à des défis importants lors de l’épidémie de covid-19. La pandémie fut sans doute le premier obstacle majeur rencontré par ce marché qui s’est fait connaître par l’une des plus grandes récessions financières au monde.
Lorsque la crise sanitaire s’est aggravée début 2020, de nombreuses plateformes de prêt entre particuliers ont connu une demande croissante pour liquider des investissements et retirer des liquidités. Par exemple, Funding Circle a fait état de pertes d’exploitation de 113 M£ au premier semestre, soit plus de trois fois ses pertes d’il y a un an.
Pourtant, malgré quelques revers considérables, le marché du prêt entre particuliers semble résister à la tempête. En France, le volume de prêts entre particuliers au premier semestre 2020 a augmenté de 32 % par rapport à la même période en 2019. En outre, de nombreuses PME ayant besoin de financement ont eu recours au prêt entre particuliers pour traverser la crise, en particulier en Asie.
Il reste cependant difficile de prévoir à quoi ressemblera le marché à la fin de la pandémie. De nombreux prêteurs pourraient en effet saisir cette occasion pour diversifier leur offre et renforcer leurs produits. Mais ils pourraient également souffrir d’une baisse de la demande de prêts et de la réticence des investisseurs, si l’incertitude économique persiste.
Entretien avec Mozzeno
Early Metrics ayant octroyé une très bonne note à Mozzeno, nous avons pensé que les fondateurs de la startup pourraient partager des informations intéressantes sur l’avenir du prêt entre particuliers. Nous avons donc interrogé Frédéric Dujeux et Xavier Laoureux sur le marché global, l’impact de la covid-19 et les prochaines étapes de leur entreprise.
Mozzeno offre une plateforme de financement collaboratif qui permet aux particuliers de financer indirectement des prêts. Ces investisseurs peuvent accorder des financements à d’autres personnes ou entreprises. Les particuliers demandent un prêt personnel via la plateforme, puis la startup analyse leur solvabilité et leurs capacités de remboursement. Cette analyse repose en grande partie sur les données publiques de la Banque nationale de Belgique (Centrale des crédits aux particuliers).
Grâce à ses algorithmes, la plateforme détermine un score pour le demandeur, qui représente son risque de crédit. Mozzeno fournit ensuite au demandeur différentes options pour financer le prêt demandé, par l’intermédiaire des investisseurs inscrits sur la plateforme. Enfin, la startup se charge de mettre les fonds à la disposition du demandeur et de distribuer les intérêts payés aux investisseurs qui ont participé.
Comment caractériseriez-vous le secteur du prêt en Belgique ? Et quelle est la place de Mozzeno dans cet écosystème ?
Frédéric Dujeux : Le marché belge est principalement partagé entre les banques (60 %) et les prêteurs non bancaires (40 %). Mozzeno occupe une position unique sur le marché, en tant que prêteur fournissant des prêts collaboratifs. Nous accordons les prêts sur notre propre bilan, puis nous nous refinançons par l’émission de Notes (instruments financiers). Grâce à ce processus, les investisseurs de la communauté perçoivent indirectement des intérêts sur les prêts.
Le processus est complètement numérique (zéro papier et entièrement à distance), ce qui est unique sur le marché. En outre, notre philosophie de « l’argent positif » nous différencie des autres acteurs : nous ne fournissons que des crédits amortissables simples à comprendre. Nous ne proposons pas de lignes de crédit ou de cartes de crédit, qui impliquent un plus gros risque d’endettement. Nous versons une récompense en cas de remboursement anticipé total.
Comment fonctionne la technologie derrière Mozzeno, en particulier les algorithmes de notation ?
Frédéric Dujeux : Plus de 50 % de notre équipe se consacre à la technologie et à la data science. Nous avons développé notre propre technologie de notation et l’améliorons de jour en jour. Cette technologie s’appuie sur plusieurs modèles/algorithmes, dont certains visent à mieux prédire le potentiel des personnes, plutôt que de se concentrer sur leurs antécédents de crédit.
Xavier Laoureux : De plus, en tant que société réglementée, nous avons accès aux bases de données de crédit positives/négatives de la banque nationale. Ceci, ainsi que la collaboration avec un assureur-crédit leader sur le marché, nous a permis de gagner du temps dans la phase d’apprentissage de notre modèle. Nous avons pu entraîner nos algorithmes de manière efficace sans avoir à expérimenter plusieurs scénarios de défaillance avec nos clients, ce qui nous a permis d’économiser du temps et de l’argent.

Quel a été le plus grand défi rencontré par Mozzeno jusqu’à présent ?
Xavier Laoureux : Il y a eu plusieurs difficultés, mais la principale a probablement été d’obtenir l’accord initial du régulateur. Il y avait eu de nombreux projets de plateforme de prêt entre particuliers avant la nôtre, mais ils s’étaient soldés par un échec car un tel modèle direct est tout simplement interdit par la réglementation belge actuelle.
Comment la pandémie a-t-elle affecté vos activités du côté des prêteurs ? Et du côté des investisseurs ?
Frédéric Dujeux : Du côté des prêteurs, en avril, le volume des prêts a diminué face à une forte réduction de la demande et à des règles d’acceptation plus strictes. Ce volume a de nouveau augmenté de juin à octobre, qui a été notre meilleur mois à ce jour (1,6 M€ de volume de prêts). L’impact des nouvelles règles de lutte contre la deuxième vague de la pandémie doit encore être évalué.
Du côté des investisseurs, il y a d’abord eu un arrêt brutal des dépôts. Les retraits ont été plus nombreux, mais ils ont été clairement contrôlés. Nous pouvions rassurer les investisseurs sur le soutien et la fiabilité (excellente notation) de notre assureur-crédit (>95 % des prêts sont assurés à 100 % de l’encours). Cette protection est clairement plus forte qu’une garantie de rachat par l’émetteur sur d’autres marchés. En effet, la contrepartie couvrant le risque de défaillance est un véritable assureur-crédit (avec des obligations imposées par le régulateur sur les fonds propres, etc.) et non une société commerciale standard.
Les derniers mois ont été difficiles pour certains gros acteurs du prêt entre particuliers – on pense notamment à la débâcle de RateSetter, Funding Circle qui triple ses pertes ou encore LendingClub quittant complètement ce marché…
Que signifie cela pour l’avenir du prêt entre particuliers, selon vous ?
Xavier Laoureux : Il existe une génération de plateformes qui ont considérablement investi dans la croissance, et leur croissance a été impressionnante. Mais elles se sont concentrées trop tard sur l’automatisation des processus et la maîtrise des coûts structurels. Bien sûr, elles ont dû créer la demande au début, tandis qu’aujourd’hui l’économie collaborative et le financement alternatif sont monnaie courante. En ce qui concerne les pertes accrues auxquelles sont confrontées certaines plateformes, il est bon de rappeler que Zopa, par exemple, a été créée encore plus tôt et a également été confrontée à une crise, avec un impact réduit sur les rendements et les pertes. Donc, là encore, l’impact constaté dépend de la stratégie et des mécanismes de protection mis en place.
Frédéric Dujeux : Nous sommes convaincus que des plateformes plus petites mais plus agiles peuvent devenir rentables plus rapidement si elles contrôlent mieux leurs ressources de financement. Je pense qu’il y aura également davantage de collaborations entre les différentes parties qui s’entraideront pour tirer plus de valeur d’un effort d’acquisition commun (banques néo/mobiles, prêteurs entre particuliers, commerçants, commerce en ligne, etc.)
Vous avez récemment levé 3 millions d’euros, comment comptez-vous utiliser ces fonds ?
Xavier Laoureux : Nous prévoyons d’accroître la notoriété de notre marque et le nombre de campagnes de marketing nécessaires pour augmenter davantage les volumes de prêts et atteindre une part de marché de 3 % en Belgique. Nous lançons également un produit de prêt pour les PME, similaire à notre processus de prêt hautement automatisé pour les prêts à la consommation.
D’autres nouvelles ou développements intéressants à venir ?
Frédéric Dujeux : Le lancement récent de l’utilisation de la PSD2 offre un potentiel énorme du point de vue de l’automatisation et de la notation. Nous travaillons actuellement sur la possibilité pour les investisseurs de revendre une partie d’un investissement (Notes) à Mozzeno sous certaines conditions (unique pour les investisseurs belges dans les actifs financiers alternatifs). Nous développons une offre de Lending as a Service B2B2C permettant aux acteurs financiers et non financiers de fournir des facilités de crédit à leurs consommateurs, en plus des produits de paiement « acheter maintenant payer plus tard » pour le secteur du commerce physique et en ligne.
Early Metrics se réjouit de voir Mozzeno continuer à se développer dans cet écosystème. Nous espérons que cela incitera les prêteurs à continuer à soutenir les petites entreprises et les entrepreneurs en cette période d’incertitude. Le prêt entre particuliers peut être un modèle gagnant-gagnant puisqu’il peut favoriser la croissance économique à petite et grande échelle
Traduit de l’anglais par Margaux Cervatius