Le tourisme virtuel peut-il sauver l’industrie du voyage ?

By Margaux Cervatius - 17 décembre 2020

Focus sur le rôle du tourisme virtuel et des technologies immersives dans la digitalisation du secteur touristique, en période de crise sanitaire.

Le tourisme occupe une place prépondérante dans l’économie mondiale : il emploie 330 millions de personnes à travers le monde et représente 10 % du PIB mondial. Il s’agit toutefois d’un des secteurs ayant payé le plus lourd tribut de la crise sanitaire de covid-19.

Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), les mesures de confinement et la fermeture des frontières auraient fait perdre 320 milliards de dollars au secteur du tourisme à l’échelle mondiale.

Mais grâce à la digitalisation, des activités touristiques se sont retrouvées en ligne ou se sont élargies vers la réalité virtuelle. Ces technologies suffiront-elles à sauver le secteur du tourisme ?

La digitalisation du tourisme

Dès la fin des années 1990, le marché du tourisme a commencé à se digitaliser face à la démocratisation d’Internet. Les plateformes incontournables d’aujourd’hui sont d’ailleurs apparues à cette époque : Booking et Expedia en 1996, TripAdvisor en 2000. Aujourd’hui il est estimé qu’environ 90 % des voyageurs planifient leurs voyages entièrement via Internet et que 80 % d’entre eux font toutes leurs réservations en ligne.

Les acteurs du tourisme traditionnels ont donc dû se digitaliser pour attirer ces potentiels clients. Les contenus digitaux leur servent ainsi à attiser la curiosité des individus et à les convaincre d’acheter un produit. Un des pionniers en la matière fut le Club Med, qui, très tôt, a mis en place des vidéos de ses destinations à des fins marketing : elles aident le consommateur à mieux se projeter lors de sa visite en agence de voyage. Ce contenu, plus immersif que les catalogues, joue un rôle important sur la décision d’achat.

Il y a deux mois, Amazon a d’ailleurs lancé sa propre plateforme d’expériences virtuelles individuelles, Amazon Explore. L’utilisateur peut effectuer un voyage virtuel en direct avec un expert local. Le géant du e-commerce souhaite utiliser ces sessions personnalisées pour ouvrir la voie à des achats : l’utilisateur peut parcourir les allées d’un marché local et acheter des produits, par exemple.

En novembre 2020, Amazon a lancé sa propre plateforme de tourisme virtuel, Amazon Explore

Réalité virtuelle, un nouvel outil de la transformation digitale du tourisme

La technologie innovante de réalité virtuelle est également de plus en plus utilisée par les offices de tourisme et agences de voyage. D’après un sondage de l’office de tourisme australien, un consommateur sur cinq a déjà choisi sa destination de vacances grâce à la réalité virtuelle.

De nombreuses startups ont vu le jour pour aider les acteurs du tourisme dans leur digitalisation. C’est le cas, par exemple, de TouristWise, qui développe une application mobile pour aider les organisations touristiques à améliorer l’expérience visiteur grâce à la réalité virtuelle, la gamification, ou encore la traduction de contenu. De nombreuses autres sociétés proposent également des services de développement de contenu virtuel sur mesure.

Mais face à la crise sanitaire de la covid-19, cette digitalisation a pris une nouvelle direction.

Voyager depuis son canapé

Confinés chez eux, dans des espaces plus ou moins restreints, les voyageurs ont envie d’évasion. Grâce aux nouvelles technologies, il est désormais possible de voyager en restant chez soi.

De nombreux offices de tourisme mettent alors en ligne des vidéos 360° immersives, relayées sur les réseaux sociaux. L’office de tourisme australien a par exemple diffusé une série de vidéos en audio 8D qui plongent le visiteur dans un voyage immersif à travers le pays.

De nombreux musées ont décidé de partager gratuitement leurs collections en ligne, à l’instar du Musée du Louvre, du British Museum de Londres, ou encore du Musée Getty à Los Angeles.

Il est également possible de partir à la découverte de monuments historiques. Ainsi, pendant le confinement, la société française Art Graphique & Patrimoine a mis ses applications à disposition gratuitement pour permettre de découvrir l’histoire d’une ville ou d’un monument, que ce soit le Mont-Saint-Michel ou le Pont d’Avignon. La société partage sur les réseaux sociaux des vidéos 360° ainsi que des visites augmentées et virtuelles de sites historiques.

Des expériences insolites rendues possibles par le tourisme virtuel

En plus de voyager dans le temps et dans l’espace, les nouvelles technologies permettent de vivre de nouvelles expériences. Il est par exemple possible de suivre un cours de cuisine avec un grand chef. Dans le cadre de son initiative #TravelTomorrow, l’Organisation mondiale du tourisme a mis en ligne des contenus où des chefs du monde entier montrent comment préparer des spécialités locales chez soi.

La réalité virtuelle va plus loin que la vidéo pour offrir des expériences encore plus immersives – une technologie idéale pour les spectacles et concerts. Le projet Virtual Helsinki a permis de mettre au point un jumeau numérique 3D de la capitale finlandaise. Celui-ci a permis à plus de 700 000 Finlandais de se réunir virtuellement pour un concert à l’occasion de la fête nationale le 30 avril 2020, sans nuire aux mesures mises en place pour endiguer la pandémie de covid-19.

700.000 personnes ont pu participer à un concert virtuel pour la fête nationale finlandaise.

Plus proche de nous, le studio de création d’expériences immersives en réalité augmentée et virtuelle SoWhen ?, noté par Early Metrics, prépare un concert virtuel de Jean-Michel Jarre dans la cathédrale Notre-Dame de Paris retransmis en direct le 31 décembre 2020.

Cette technologie permet également de visiter des endroits inaccessibles, à l’instar de l’expérience « Chernobyl VR – A future that was lost ». Il s’agit ici d’un voyage dans l’inimaginable : visiter un lieu interdit, celui de l’ancienne centrale nucléaire de Tchernobyl, et l’explorer à travers le temps pour découvrir ce qui s’y est passé en 1986.

L’occasion de se réinventer : vers un tourisme engagé

Le tourisme virtuel semble être un palliatif adéquat en temps de crise de covid-19, mais il pourrait également apporter une solution à d’autres types de crise. Le tourisme de masse a entraîné de sérieux problèmes environnementaux partout dans le monde et de nombreux lieux souffrent de la sur-fréquentation.

On peut par exemple penser aux Philippines qui, en 2018, décident de fermer pendant six mois l’île paradisiaque de Boracay, victime de son succès auprès des touristes. La réalité virtuelle pourrait aider à réduire le nombre de visiteurs afin de préserver des sites naturels en danger.

De nombreuses associations tentent de sensibiliser la population à travers des actions interactives. C’est le cas d’INDE, une startup britannique notée par Early Metrics qui développe des expériences immersives en réalité augmentée pour des acteurs du divertissement, de l’éducation et de la publicité.

En 2013, INDE a réalisé un projet pour WWF et Coca-Cola dans le cadre d’une campagne de sensibilisation à la fonte des glaces en Arctique. Grâce à la réalité augmentée, les visiteurs du Science Museum de Londres ont pu s’approcher d’un ours polaire et de ses deux bébés puis partager la photo sur les réseaux sociaux pour sensibiliser le public.

Enfin, la réalité virtuelle peut être un moyen de sauver les lieux culturels qui paient le prix de conflits armés. La startup française Iconem contribue à la conservation d’endroits menacés en les numérisant pour l’exploration et l’étude. Sa technologie combine prises de vue aériennes par drone et modélisations en 3D. Elle a ainsi permis de reconstituer les villes historiques de Palmyre et Alep, détruites par la guerre en Syrie.

Depuis longtemps déjà, le secteur du tourisme utilise les technologies numériques pour attirer les visiteurs à la recherche d’expériences uniques. La réalité virtuelle offre aujourd’hui de nouvelles possibilités. Toutefois, les casques et équipements nécessaires sont coûteux et restent accessibles principalement via les points de vente physiques. Les contenus immersifs sont utilisés en grande partie à des fins commerciales et ne pourront vraisemblablement jamais remplacer l’expérience physique d’un voyage. Toutefois, le tourisme virtuel peut apporter une expérience parallèle tout aussi enrichissante que le voyage « réel ».

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